mercredi 20 mars 2013

Le Grand Brouillard Statistique impose de passer de la navigation aux instruments à la navigation à vue – Pièges, repères et grilles de lecture.

Dans les tendances Up&Down présentées dans le numéro de janvier, notre équipe avait placé en Down « Les indicateurs économiques » avec l’argumentaire suivant : « Entre des indicateurs économiques de court terme qui décrivent seulement ce qui s’est passé dans la semaine, d’autres qui sont manipulés par les gouvernements pour refléter le message qu’ils souhaitent passer, et d’autres enfin qui n’ont plus de pertinence dans le monde actuel, la réalité économique est pour le moins très mal décrite, voire travestie, par ces chiffres pourtant suivis par les entreprises, les banques, les pays. Ce brouillard statistique empêche une navigation fiable, pourtant primordiale dans ces temps de crise. » Que ce soit le fruit de manipulations intentionnelles de la part des acteurs dans leur effort de survie ou le résultat de l’extrême volatilité des bases de calcul (comme la valeur des monnaies et du dollar US tout particulièrement), cette tendance se confirme en effet.
Des indicateurs fiables et pertinents sur la situation économique, politique et sociale mondiale sont pourtant indispensables afin de traverser la crise sans encombre. Mais ceux utilisés par les gouvernements ou les entreprises sont, au mieux, inutiles dans la période actuelle de remodelage profond du monde, au pire, néfastes. C’est pourquoi notre équipe a décidé dans ce numéro du GEAB de détailler quels indicateurs reflètent la situation réelle et lesquels relèvent du trompe-l’œil. Ce travail permet de souligner également que ce ne sont pas toujours les indicateurs eux-mêmes qui sont faussés, mais la façon dont ils sont interprétés ou l’étude des raisons qui les font évoluer.

Dans un monde où circulent tant « d’actifs fantômes » ou de créances douteuses, tant de produits dérivés opaques ou sans valeur, la finance est de plus en plus déconnectée de la réalité. Les indicateurs financiers (cours des bourses notamment) doivent donc être interprétés avec la plus grande précaution comme nous le verrons plus loin. De même, le feuilleton hebdomadaire de « la vie de l’économie » nous maintient en haleine avec tantôt l’annonce des chiffres de la « confiance », du « sentiment », tantôt avec les discours des banques centrales… Mais ce n’est pas à ce rythme qu’évoluent les fondamentaux et la réalité n’a que faire de la méthode Coué consistant à se raccrocher à toutes ces données d’ordre psychologique. Ces informations de court terme ont davantage pour effet de cacher les maux profonds de l’économie que d’influer vraiment sur la réalité comme elles le prétendent, en particulier dans cette période de grande crise.

Quant aux vraies statistiques, le mode de calcul de ces chiffres ne reflète parfois plus du tout le vrai paysage économique : ainsi en va-t-il, par exemple, des chiffres du chômage et de l’inflation, deux critères pourtant bien ancrés dans la réalité et jouant à juste titre un rôle important. Mais comme le dit l’expression populaire : « À défaut de pouvoir enrayer la fièvre, on a cassé le thermomètre. » Et toute la question est alors de déchiffrer les statistiques pour obtenir une vision plus précise, comme nous le faisons pour les États-Unis ci-dessous.

Outre les statistiques décrivant l’économie réelle (emploi, consommation, volume de commerce international, consommation d’énergie, etc.) et la part de virtualisation de l’économie (désindustrialisation, endettement), il est également intéressant de considérer la réalité sociale et politique par des indicateurs reflétant la pauvreté, la démographie, les conflits, le blocage politique, etc.

Enfin, certains indicateurs généraux comme le Produit intérieur brut (PIB) ou le cours des monnaies, sont évidemment à suivre, mais en gardant à l’esprit que le premier peut être artificiellement dopé par la part « virtuelle » de l’économie (actifs pourris des banques, par exemple, ou actions des banques centrales), et le second temporairement perturbé par la spéculation, bien que sur le long terme il reflète tout de même bien l’état relatif des économies des différents pays.

En résumé, il s’agit de conserver un œil critique sur les statistiques quotidiennes qui nous sont servies. Nous appliquerons dans la partie suivante ce précepte au cas des États-Unis principalement, car la distorsion y est la plus caricaturale et que pour l’Europe l’exercice est mené chaque jour par les médias anglo-saxons.

Il est d’autant plus important de trouver les bons repères et d’éliminer les illusions que nous assistons à un véritable changement de paradigme hors du système mis en place par les États-Unis, ou en d’autres termes à l’effondrement du monde qu’ils ont créé. Depuis quelques décennies, ils tenaient en effet leur rang uniquement parce qu’ils se situaient au-dessus des règles du jeu mondial grâce à la prééminence et au caractère incontournable de leur monnaie : le dollar. La remise en question de cet avantage les contraint à redevenir une puissance comme une autre. Cela nécessite un ajustement considérable que reflètent, par exemple, le déficit commercial abyssal, la désindustrialisation ou l’endettement du pays, avec des conséquences immenses sur leur capacité d’influence et sur le niveau de vie des Américains.

Les pays de l’orbite US, principalement Royaume-Uni et Japon, totalement alignés sur les principes du modèle économique américain et qui profitaient des retombées de la situation privilégiée du patron, souffrent également. L’Europe, proche du modèle économique US, en particulier depuis la chute du Mur de Berlin, mais dont le projet d’intégration avait pour objectif d’accroître l’indépendance vis-à-vis des États-Unis, est en partie entraînée dans le maelström, mais dispose de caractéristiques structurelles qui lui fournissent des outils pour pouvoir s’en dégager. Cela dit, en 2013, au-delà des puissances occidentales, c’est le monde entier qui va tanguer, jusques et y compris ces nouvelles puissances représentées par les BRICS dans lesquelles des bulles voient le jour, provoquées par l’utilisation des injections d’argent facile de la Fed dans l’économie US, puis mondiale (1).

La situation européenne est loin d’être parfaite avec un chômage élevé, une croissance atone (ou négative), et maintenant une crise politique qui sape le début de confiance des marchés dans l’euro. Néanmoins, les pays européens n’ont pas un ajustement aussi douloureux à pratiquer que les États-Unis. Dans le cas de l’Euroland, l’adaptation nécessaire, loin d’être terminée, est tout de même largement entamée. Rappelons que selon notre équipe, l’UE n’a pas d’avenir sous sa forme actuelle, constamment bloquée par les atermoiements britanniques, minée par un élargissement incontrôlé largement piloté par Washington, paralysée par des institutions bruxelloises sclérosées, et souffrant de surcroît d’un cruel déficit démocratique. L’Euroland, puissante, naturellement intégrée par la monnaie commune, souple et débarrassée des poids morts, constitue le nouveau moteur capable d’insuffler les dynamiques nécessaires pour résoudre les problèmes européens qu’ils soient d’ordre financier, économique, sociaux ou politique – en ce sens, elle est la seule solution d’avenir sur ce continent. Comme nous l’analysons plus loin, ces dynamiques qui, comme anticipé par LEAP, ont permis de vaincre la tempête qui s’est abattue sur elle en 2010-2012, vont maintenant, alors que la crise de l’euro devient une crise politique, permettre de relever le grand défi politique de l’intégration européenne : sa démocratisation (une démocratisation sans laquelle elle n’aurait, malgré tous ses atouts, pas d’avenir).

Enfin, avant de présenter nos recommandations et le GlobalEuromètre, nous proposerons une analyse de la situation géopolitique en Corée, nouveau champ de bataille entre la Chine et les États-Unis.

Marchés financiers : un indicateur à lire à l’envers

Commençons justement par le symbole de la reprise américaine, la bourse, qui affiche des résultats insolents : les indices Dow Jones, S&P500 et Nasdaq ont soit battu leurs records de 2008, soit en sont tout proches (2). L’unique raison de cette hausse est claire et est même reconnue officiellement (3) : les bourses doivent leur salut seulement à la Fed dont les injections de liquidités viennent gonfler artificiellement les cours. Il s’agit donc d’un indicateur manipulé et ne reflétant certainement pas l’économie réelle, l’objectif étant de redonner confiance par la hausse des cours et ainsi de relancer la consommation. Pas sûr que cet objectif soit atteint un jour alors que la confiance des consommateurs demeure inférieure aux plus bas de la période 1995-2007 (sans compter que l’indice de confiance à six mois dans le futur est encore 7 points plus bas (4)).

Indice de confiance du consommateur américain, 1978-2013 - Source : Calculated Risk
Indice de confiance du consommateur américain, 1978-2013 - Source : Calculated Risk
Néanmoins, même cette « embellie » a priori indubitable doit être mise en perspective. Où est le record lorsque le cours du Dow Jones est comparé à l’or, mesure sous certains aspects plus crédible que le dollar US ?

L'indice Dow Jones par rapport au cours de l'or, 2003-2013 - Source : ZeroHedge
L'indice Dow Jones par rapport au cours de l'or, 2003-2013 - Source : ZeroHedge
Ou comment se réjouir des performances de la bourse lorsque les volumes sont de 40 à 50% plus faibles qu’avant la crise, et si faibles que seule la spéculation-casino fait évoluer les cours ?

Volumes échangés sur le NYSE, 2004-2013 - Source : ZeroHedge
Volumes échangés sur le NYSE, 2004-2013 - Source : ZeroHedge
On le voit, le cours des bourses est complètement déconnecté de l’économie réelle et n’est donc plus un indicateur pertinent. Il est éclairant de voir que la distorsion est la plus grande aux États-Unis, alors qu’en Europe l’indice Euro Stoxx 50 a stagné depuis 2009 comme de nombreux autres indices européens nationaux (CAC40, par exemple) et que l’indice de Shanghai baisse depuis plus de deux ans (!) malgré le dynamisme chinois. L’absence de pertinence de cet indicateur est encore illustrée par la flambée du Nikkei (+40% en moins de quatre mois) au moment où le Japon est au plus mal avec des dettes insoutenables et un déficit commercial élevé depuis deux ans. Le cours de bourse, s’il est un indice de quelque chose, est celui du degré de virtualisation de l’économie, de l’importance du phénomène spéculatif et du degré d’endettement d’un pays. L’équipe de LEAP n’a jamais accordé que très peu d’importance aux mouvements des bourses ; pourtant, d’une certaine manière, nous pourrions légitimement lire ses mouvements à l’inverse de ce qu’ils sont sensés dire : que plus les marchés boursiers sont hauts, plus la situation économique réelle est catastrophique, et inversement.

Les chiffres ainsi décortiqués de la suite de l'article sont : l'emploi, les monnaies, l'immobilier, la balance commerciale et la consommation.

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